Sincères remerciements au site d’information ATLANTICO pour ce savoureux plaidoyer du sport billard signé Olivier RODRIGUEZ, chroniqueur pour l’Équipe du Soir, préparateur physique et entraîneur de tennis.
Dans cette époque absurde, être six fois de suite champion de France et cinq fois vainqueur de la coupe d'Europe n'est pas obligatoirement synonyme de gloire et de reconnaissance. La preuve, puisque les joueurs de la Team Douarnenez Valdys, c'est d'eux qu'il s'agit, sont menacés par l'anonymat, le plus inconfortable des oublis. Pour le dire autrement, le drame de ces sportifs d'élite réside dans le fait, paradoxal, que ce qu'ils font de plus remarquable, n'est malheureusement pas remarqué.
Pourtant, c'est beau, le billard français... On peut même dire que ça a une sacrée gueule : les trajectoires savamment calculées, l'atmosphère aussi liturgique que feutrée, le son si caractéristique des billes qui carambolent, et j'en passe... Bref, vous l'ignorez probablement mais, le " français", c'est toute une atmosphère... Une atmosphère qui possède le don d'ourler d'un frisson d'admiration un public d'initiés... Des férus rassemblés là par un goût commun, qui savourent la danse des billes qui valsent et tourbillonnent sous leurs yeux, heureux maquignons réunis là, à la foire de leur propre plaisir...
Si le postulat peut paraître simple, sa mise en œuvre ne l'est pas puisqu'elle implique des dizaines de possibilités aussi périlleuses les unes que les autres. Charge au joueur de visualiser la trajectoire aussi idéale que parfaite qui permettra à la bille blanche, pleine ou pointée, de toucher les deux autres... Soit directement, soit par la bande... et, ensuite, d'avoir la capacité de réaliser un geste aussi séculaire qu'éloquent qui abolira tous les mauvais hasards. Une paille.
Inutile de vous dire que ce voyage au cœur des secondes et des millimètres exige, évidemment, des dizaines de milliers d'heures de pratique, de macération de gammes et d'entrainement invisible pour qui veut devenir un champion de la discipline. Ça vous semble beaucoup ? C'est pourtant le tarif minimum obligatoire pour transformer un joueur éclairé en expert en balistique, un amateur en virtuose des effets, et un passionné en franciscain de la précision... Un joueur capable de passer des heures dans des postures non remboursées par la Sécurité Sociale, la voussure de l'échine penchée sur l'avenir immédiat comme sur les probabilités. Ici, dans ce sport qui prend son temps, la religion de l'effort quasi immobile n'est pas un vain mot.
Ces choses étant précisées, croyez-vous que ces spécialistes de la guerre des nerfs soient justement récompensés de leur haute moisson ? Pas du tout. Privés de gains (par leur statut d'amateur) et boudés par les médias, les joueurs de la Team Valdys sont donc malheureusement systématiquement abandonnés par les soleils plus ou moins éphémères de la modernité. Pour le dire autrement, ben... nos billardistes ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Pourquoi, me direz-vous ? Pour trois raisons dont une seule serait suffisante...
À cause des journalistes sportifs (des types comme moi), déjà, et des choix éditoriaux des rédactions, lesquels rivalisent de méconnaissance et d'amnésie. Pardon ? Pourquoi "amnésie" ? Simplement parce que tous ont oublié qu'un journal est précisément fait pour parler des gens, des sports, dont nul, jusque-là, n'avait imaginé l'existence. Trop occupés à mettre la main aux fesses de l'actualité (elle aime ça), ils ne savent malheureusement plus mettre en mémoire des noms ou des pratiques dont on prendrait plaisir, pourtant, à se ressouvenir.
À cause, aussi, d'une fédération (la FFB) aussi absente qu'inefficace côté communication. Un paradoxe pour qui sait que le record de licenciés vient juste d'être battu (18500) ...
À cause, enfin, du billard lui-même et de ses complexités qui en font un feuilleton difficile à suivre pour les non-initiés. Entre le français, les jeux de cadre, le une bande, le trois bandes, et les cousinages plus ou moins éloignés des billards à poches tels que le snooker, l'américain ou le Blackball, tous régis, évidemment, par des règles et des formats différents, comment voulez-vous que le spectateur et le pratiquant moyens, sans boussole, ne s'y perdent pas ?
Mais que toutes ces difficultés, chers lecteurs, ne vous empêchent pas de vous rendre dans les salles de billards !
Des salles dans lesquelles on respire bien et dans lesquelles on se promène sans cérémonie (en plus, il n'y pleut jamais !). Vous y trouverez un je-ne-sais-quoi qui pourrait s'appeler "poésie", dans un pays loin de tout, là-bas, où finit le monde figuratif et où commence l'abstrait ...
Allez-y pour pratiquer ou pour admirer tous ces "mathémagiciens" dont l'impeccable expression nous rappelle qu'il n'est pas d'art sans discipline et sans technique...
Allez-y et vous verrez que si le billard gagne à être connu, on gagne encore davantage à le connaître.
Oui, allez-y pour que l'histoire de ce sport ait un bel avenir... Et qu'il vous donne de beaux souvenirs sportifs que vous raconterez, plus tard, aux enfants des autres.
Olivier RODRIGUEZ